Grégoire C.

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A la tête de la belle librairie Obliques depuis 2011.

Conseillé par (Libraire)
18 août 2017

A fleur de peau

La grande réussite de ce roman, c'est d'être allé jusqu'au bout de son idée. Ressentir la douleur, permanente, insupportable, vivre avec, vivre malgré tout. Sans faire d'impasse, Joy Sorman porte le lecteur aux confins de ce qu'il est possible de mesurer avec des mots, dans ces zones de la littérature qui peuvent devenir physiques, là où l'empathie vous fait grimacer. Alors c'est vous qui partagez le chemin de croix médical et plus ou moins scientifique de Ninon, vous qui espérez que le bon diagnostic tombe ou que la bonne formule magique soit prononcée. Pour vous libérer, autant qu'elle, de la douleur bien sûr mais surtout de la malédiction. Rompre avec la tradition, refuser la fatalité : à sa manière, recluse dans sa chambre capitonnée, Ninon est une héroïne rebelle, en opposition avec toutes les femmes qui l'ont précédée et dont sa mère lui a raconté l'histoire pathétique. Toi aussi, tu souffriras sans raison, semblait-elle dire. En s'élevant contre sa calamiteuse généalogie, Ninon se dresse face au destin. Terriblement intime, ce roman est aussi le récit d'une tragédie plus ample, millénaire, celle qui raconte la force qu'il faut à un enfant pour s'écarter de la voie qu'on a tracé pour lui.

19,80
Conseillé par (Libraire)
17 août 2017

Ce matin, un lapin...

La jeune héritière Patty Hearst a-t-elle embrassée l'idéologie radicale de ses ravisseurs ou bien a-t-elle victime d'un lavage de cerveau ? Voici l'énigme que trois femmes, successivement, tenteront d'élucider et cela les mènera au cœur d'un problème plus profond : la liberté pour une femme à disposer de son propre destin.

Livre après livre, le projet de Lola Lafon s'affirme avec plus de force : explorer le statut de la femme dans la société moderne. Quel rôle lui demande-t-on de jouer ? Quelle place lui laisse-t-on occuper ? En décortiquant des exemples historiques ou médiatiques qui font voler en éclats les limites de ces questions, elle produit une littérature engagée, documentaire et paradoxalement très romanesque.

Comme "La petite communiste qui ne souriait jamais", "Mercy, Mary, Patty" n'est pas une thèse, pas un docu-fiction, mais bel et bien de littérature, de celle qui n'apporte aucune réponse mais ouvre des pistes, donne au lecteur de quoi penser, rêver, s'enflammer, enrager. Car au-delà du fait divers, étudié sous toutes ses coutures, ce sont les personnalités et les trajectoires de trois femmes qui tissent la trame intime de ce roman et subtilement décrivent le passage d'un précieux relais, la flamme de la révolte, parfois menue, parfois démesurée, mais qu'aucune oppression nous dit Lola Lafon, ne pourra jamais éteindre.

Conseillé par (Libraire)
16 août 2017

Creuser les étoiles

Suivant le destin de trois générations d'une famille de villageois caribéens hauts en couleurs, Miguel Bonnefoy signe un roman sensible et sensoriel, à l'écriture aussi luxuriante que ces paysages tropicaux.

Dans ce village insulaire, la vie s'écoule égale à elle-même. Les adultes cultivent la terre, les vieux pleurent leurs morts et les jeunes filles rêvent au prince qui viendra demander leur main et les sortir de l'ennui. Mais ici, jamais aucun prince ne débarque. Régulièrement, c'est surtout une galerie de doux dingues qui surgit, cartes en main, pour partir à la recherche du fameux trésor du pirate Henry Morgan dont on raconte qu'il se serait échoué ici des siècles plus tôt.

"Si les étoiles étaient en or, je creuserais le ciel," prétend l'un d'eux.

Entre la fable et la fresque historique, Sucre noir possède la force des grandes sagas et l'intelligence de ne pas en faire trop. L'alchimie est parfaitement réussi et la boucle refermée, on réalise qu'on tient là le deuxième roman d'un grand écrivain.

Conseillé par (Libraire)
1 juillet 2017

Bijou anarchiste

On suit avec plaisir l’école buissonnière de cette gamine sicilienne fascinée par Jean Gabin, débrouillarde et espiègle, dans l’Italie des années 30.
Tardivement découverte grâce au magnifique "Art de la joie", Goliarda Sapienza a eu une vie à la hauteur de ses récits : libre, anarchiste, décomplexée et sensuelle.
Avec ce court roman, elle raconte son enfance vécue sur les chapeaux de roue et rend communicatifs son engagement précoce et sa formidable soif de liberté.

25,00
Conseillé par (Libraire)
27 juin 2017

Après la fin du monde

Deux frères, leur père, au bord d’un lac duquel surgissent de temps à autre des cadavres d’un autre temps. Cette terre des fils, elle est ravagée, presque stérile, et ils sont peu nombreux ceux qui la foulent encore après un cataclysme qui les a tous renvoyés à l’âge du fer. Hé oui, c’est encore une histoire de fin du monde, mais celle-ci n’aura que peu d’importance dans le récit, ou bien subtile, pour que la renaissance de ces terres désolées accompagne l’initiation d’enfants eux aussi réduits à plus grand chose. Sans écriture, sans autre enseignement que la survie, leur langage s’est décrépi, est devenu rachitique, tandis que leur fascination pour les mystérieux gribouillis que leur père couche sur le papier les inquiètent et les intriguent. Il ne leur apprendra jamais à lire.

Face à cette énième variation sur le thème rebattu des sociétés post-apocalyptiques, on pourrait être tenté de faire l’impasse, mais il suffira d’ouvrir ce livre pour être frappé par ce noir et blanc haché, un trait brut et précis à la fois qui lance le récit dans une autre dimension. La forme épouse le fond et là où les émotions sont primales, l’image devient brutale, comme inachevée et pourtant si claire, l’exact reflet en somme du monde qui nous est présenté.

Après trois ouvrages autobiographiques, l’auteur italien de Ma vie mal dessinée s’attaque pour la première fois à la fiction avec un conte initiatique quasiment muet, impressionnant de maîtrise et d’une beauté élémentaire. La pluie, le brouillard, la terre, les crânes rasés, les eaux contaminées et les cieux nocturnes émergent de cette pointe fine, de ce dessin comme volé à un bord de table, un coin de nappe de fin de soirée qui dit pourtant tout de l’espoir et du désespoir de ces êtres en construction. La terre des fils est cette déclaration d’amour à la vie, à l’intelligence, à l’humanité, quand tout pourrait sembler perdu. Une merveille graphique.