18,00
Conseillé par (Libraire)
20 mai 2020

Terreurs enfantines

Les enfants ont ceci d'inquiétant qu'ils ne sont pas de notre monde. Parce qu'ils n'ont pas encore appris à les ignorer, ils voient des choses que nous ne voyons pas. Ils comprennent des mystères que nous avons renoncé à percer. Quand ils nous ne le font remarquer, nous nous extasions ou bien prenons peur.
Cet écart entre notre réel et le leur est la substance de ce roman exceptionnel, construit autour d'un fait divers fictif, survenu au milieu des années 90, au Brésil, suppose-t-on.

Le narrateur, employé municipal de la ville de San Cristobal, raconte, des années plus tard, ce qu'il a vu, et à quel point cette histoire continue de le hanter.
Des enfants donc, sortis de la jungle, des égouts ou bien de nos propres maisons, ont commencé à frayer en bandes. Sauvages, libres, incompréhensibles, et par conséquent dangereux. Invisible aux yeux des citoyens, comme le sont les sans-abris, ou les immigrés, la horde a enflé, pour qu'on la remarque, pour qu'il ne soit plus possible de faire sans elle, pour qu'en définitive, la confrontation ait lieu.

Le lecteur découvre cette fable terrifiante et bouleversante par le récit d'un homme qui a déjà fait le bilan de l'expérience, qui est déjà loin de la panique et de l'incompréhension de ces quelques semaines de peur. Cette tonalité dépassionnée et presque mélancolique du récit est l'une des belles trouvailles littéraires du roman car elle se permet le temps de l'analyse et tient à distance le sensationnel, le suspens, qui aurait pu parasiter l'infinité de réflexions que suscitent les faits, bruts, nus. Elle nous fait aussi comprendre à quel point la vie personnelle d'un observateur biaise son témoignage et le contamine.

Andrés Barba a cette intelligence littéraire de ne jamais aller du côté des chemins déjà parcourus. A aucun moment il ne sera question de Sa majesté des mouches ou d'un quelconque mythe de l'enfant féral. Ces gamins qui s'en prennent aux adultes de San Cristobal, au contraire, sont un produit de l'urbanité, la face négative de la civilisation, surgie pour la questionner, jusqu'au harcèlement, jusqu'à l'agression. Gratuite ? C'est toute la question du roman, sans réponse, que de savoir qui, de l'agresseur et de la victime, est le vrai coupable. L'enfant qui mord, ou l'adulte qui lui serre le bras ?
Après toutes ces années, notre narrateur est toujours incapable de le déterminer et nous laisse, nous lecteurs, avec le même désarroi, la même inquiétude muette. Qu'offre-t-on à nos enfants ?

Conseillé par (Libraire)
12 novembre 2020

Le plus beau, le plus tendre, le plus apocalyptique des romans de Laura Kasischke