La chair des étoiles, roman
EAN13
9782221110522
ISBN
978-2-221-11052-2
Éditeur
Robert Laffont
Date de publication
Nombre de pages
330
Dimensions
24,2 x 15,5 x 2,9 cm
Poids
510 g
Langue
français
Code dewey
843
Fiches UNIMARC
S'identifier

La chair des étoiles

roman

De

Robert Laffont

Indisponible

Ce livre est en stock chez 3 confrères du réseau leslibraires.fr,

Cliquez ici pour le commander

Autre version disponible

Je l'avais tant attendu, ce moment, que j'ai pris l'initiative. Je me suis avancée vers toi. J'ai dénoué mon tablier et l'ai plié sur le dossier d'une chaise. Tu me dévisageais. Tu as posé ta pipe. Je t'ai pris la main.
- Viens, ai-je dit doucement.
Tu t'es levé comme un enfant qu'on entraîne. Nous avons monté lentement l'escalier, une bougie à la main. En refermant la porte de la chambre, je sentais ta présence dans mon dos. Ta respiration courte, ton souffle qui sentait le vin. J'ai oublié toutes mes appréhensions de la journée et je t'ai fait face.
Tu étais là, devant moi, tout contre. J'ai passé la main dans tes cheveux, ta barbe.
- C'est doux.
Tu as souri. J'ai approché les lèvres. Depuis près de trois ans, mon corps attendait ce moment. J'étais chanceuse, après tout. La guerre me rendait mon homme. Ou plus exactement, elle me le prêtait pour une semaine. Il n'était plus temps d'être regardante. On nous accordait une pause. Tant d'autres, pour toujours, étaient inaccessibles aux caresses.
Ta bouche était glacée. De ce froid qu'une femme justement peut désirer vaincre. Je t'ai conduit vers le lit. Tu me contemplais de tes grands yeux cernés de rouge. Nous étions immobiles, gênés de retrouver notre intimité. Soudain, tu m'as poussée sur l'édredon et tu as glissé les mains sous mes jupes. Je me suis laissé faire tout en murmurant : " Nous avons le temps. Doucement, mon Pierre. Je t'aime, nous avons le temps. "
Mais tu ne m'entendais plus. Tu m'as même fait mal. Pour la première fois depuis que je te connaissais, j'éprouvais une brûlure à ton contact. Je me mordais les lèvres, en silence. Toi, tu ne voyais rien. Le visage enfoui dans ma chevelure dont le chignon écroulé avait libéré la masse blonde. Tu t'activais, ahanant sur un ton rauque. Tu n'avais pas pris la peine de te dévêtir, le pantalon à peine descendu sur les bandes molletières. J'étais troussée comme une servante culbutée. Je regardais le plafond, les yeux brillants. Cela ne dura pas et tu as roulé sur le côté comme un homme foudroyé.
Je me suis dégagée de ton étreinte. Une odeur étrange m'imprégnait, un mélange de crasse, de vinasse et de charogne. J'ai dû réprimer un haut-le-cœur pour ne pas m'écarter avec brusquerie de toi. Tu gisais à mon côté, le nez dans la couverture. Je devinais ta confusion. La certitude que tu avais honte. Je me suis penchée sur toi et t'ai caressé la nuque.
- Mon amour...
Tu n'as pas répondu. Tu fermais les yeux. Les paroles avaient perdu jusqu'au pouvoir de rattraper les gestes.
L'obscurité régnait dans la pièce froide. Tu tardais à me rejoindre sous les couvertures. Je t'entendais t'agiter, aller et venir, pousser la commode sur le mur en face du lit.
- Pierre, que fais-tu ?
- J'arrange mon pageot.
- Tu arranges quoi ?
- Mon pieu !
- Tu ne viens pas me rejoindre ?
Le remue-ménage s'est interrompu. Tu étais debout, au pied du lit à rouleaux et me regardais.
- J'ai perdu l'habitude d'aller à la plume.
- Qu'est-ce que tu veux dire ?
Tu t'es assis sur le bord du matelas qui s'est affaissé sous ton poids.
- Ça fait trop longtemps que je dors à la dure. La mollesse du sommier, c'est trop tôt. Je ne pourrais pas fermer l'œil.
- Pierre, je t'en prie...
- Il faut être patiente, Anna.
J'ai saisi ton bras. M'y suis agrippée.
- C'est dur, tant de douceur, as-tu murmuré.
Tu t'es s'interrompu.
- Tout ça, vous, toi, la mère. Anselme qu'ils viendront chercher si cette saloperie de guerre n'est pas finie...
Accrochée à tes épaules, j'écoutais sans répondre.
- Il lui faudrait une belle blessure chez le menuisier. Tiens, dans la jambe ! Qui le rende boiteux. Ce serait bien, ça, boiteux.
Par moments, tu me serrais la nuque. La pression avait quelque chose de convulsif.
- On était si bien avant.
- J'ai oublié. Tout oublié.
Tu as déposé un baiser dans mes cheveux et tu t'es redressé.
- Pierre ?
- Oui ?
- Je t'en prie. Rejoins-moi.
Tu ne m'as pas répondu. J'ai entendu le parquet qui crissait, dans un coin de la chambre. Au bruit que tu faisais, je devinais que tu te pelotonnais, cherchant ta place, remontant ta capote sur la tête. Ce que je ne voyais pas ce premier soir, c'est ton poing droit refermé sur le manche de ton couteau de nettoyeur de tranchée. Un couteau effilé, un couteau de boucher propre aux troupes de choc. Une arme dont tu ne te séparais plus. Ni le jour. Ni la nuit.
S'identifier pour envoyer des commentaires.

Autres contributions de...

Plus d'informations sur Jean-Guy Soumy