Les couleurs de la nuit

Bonjour Mr Brunet Votre visiteur regarde le tableau que vous lui présentez et voici que la surface perd sa platitude à mesure qu’elle accueille ce regard. Déjà, elle n’est plus surface mais volume, car il émane d’elle un courant spatial, une sorte de buée lumineuse, qui occupe toute la vue. Votre spectateur en éprouve un plaisir qui envahit ses yeux, son visage, sa pensée. Il sent alors que son regard s’est uni à ce qu’il regarde sauf que, à l’instant où il en prend conscience, il se met à interroger ce qui lui fait face et des mots surgissent : grains, graines, ailettes, pétales, puis le mot « touches » efface tous les autres. Tout cela cependant : grappes, bouquets, essaims, tout cela baigne dans un air parcouru de vibrations, de nuances qui donnent à cette vitalité intime le pouvoir de communiquer une forte impression de vitalité sensuelle. Pourquoi perturber cette liaison heureuse en mettant des mots où il suffit de voir ? Vous, Jean-Marc Brunet, vous apportez une nouvelle toile et, cette fois, l’essaim des touches frappe moins que son frémissement et la respiration qui s’ensuit dans tout l’espace coloré. Votre spectateur partage très vite ce lien physique entre les éléments qui composent votre tableau car ils composent aussi son regard. Il y a tout à coup de l’inséparable dans le tableau puis dans les yeux comme si le fond sans cesse prenait forme et, donc, devenait corps. Et dire, se dit le regardeur, dire que l’on qualifie d’ « abstraite » cette peinture alors qu’elle est un organisme auquel l’attention visuelle rend la vie. - Bernard Noël