Miss Harriet et autres nouvelles
EAN13
9789999997850
Éditeur
NumiLog
Langue
français
Fiches UNIMARC
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Miss Harriet et autres nouvelles

NumiLog

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Le curé, habitué à ces débauches paysannes, restait tranquille, assis à côté
de la garde, agaçant du doigt la petite bouche de son neveu pour le faire
rire. Il semblait surpris par la vue de cet enfant, comme s'il n'en avait
jamais aperçu. Il le considérait avec une attention réfléchie, avec une
gravité songeuse, avec une tendresse éveillée au fond de lui, une tendresse
inconnue, singulière, vive et un peu triste, pour ce petit être fragile qui
était le fils de son frère.

Il n'entendait rien, ne voyait rien, il contemplait l'enfant. Il avait envie
de le prendre encore sur ses genoux, car il gardait, sur sa poitrine et dans
son coeur, la sensation douce de l'avoir porté tout à l'heure, en revenant de
l'église. Il restait ému devant cette larve d'homme comme devant un mystère
ineffable auquel il n'avait jamais pensé, un mystère auguste et saint,
l'incarnation d'une âme nouvelle, le grand mystère de la vie qui commence, de
l'amour qui s'éveille, de la race qui se continue, de l'humanité qui marche
toujours.

La garde mangeait, la face rouge, les yeux luisants, gênée par le petit qui
l'écartait de la table.

L'abbé lui dit :

« Donnez-le-moi. Je n'ai pas faim. »

– Et il reprit l'enfant. Alors tout disparut autour de lui, tout s'effaça ; et
il restait les yeux fixés sur cette figure rose et bouffie ; et peu à peu, la
chaleur du petit corps, à travers les langes et le drap de la soutane, lui
gagnait les jambes, le pénétrait, comme une caresse très légère, très bonne,
très chaste, une caresse délicieuse qui lui mettait des larmes aux yeux.

Le bruit des mangeurs devenait effrayant. L'enfant, agacé par ces clameurs, se
mit à pleurer.

Une voix s'écria : « Dis donc, l'abbé, donne-lui à téter. »

Et une explosion de rires secoua la salle. Mais la mère s'était levée ; elle
prit son fils et l'emporta dans la chambre voisine. Elle revint au bout de
quelques minutes en déclarant qu'il dormait tranquillement dans son berceau.

Et le repas continua. Hommes et femmes sortaient de temps en temps dans la
cour, puis rentraient se mettre à table. Les viandes, les légumes, le cidre et
le vin s'engouffraient dans les bouches, gonflaient les ventres, allumaient
les yeux, faisaient délirer les esprits.

La nuit tombait quand on prit le café. Depuis longtemps le prêtre avait
disparu, sans qu'on s'étonnât de son absence.

La jeune mère enfin se leva pour aller voir si le petit dormait toujours. Il
faisait sombre à présent. Elle pénétra dans la chambre à tâtons ; et elle
avançait les bras étendus pour ne point heurter de meuble. Mais un bruit
singulier l'arrêta net ; et elle ressortit effarée, sûre d'avoir entendu
remuer quelqu'un. Elle rentra dans la salle, fort pâle, tremblante, et raconta
la chose. Tous les hommes se levèrent en tumulte, gris et menaçants ; et le
père, une lampe à la main, s'élança.

L'abbé, à genoux près du berceau, sanglotait, le front sur l'oreiller où
reposait la tête de l'enfant.
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