Jean T.

https://lecturesdereves.wordpress.com/

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Conseillé par (Libraire)
31 août 2016

À chaque rentrée littéraire, et pour la 24ème fois, un nouveau Nothomb. C'est une habitude et pourtant, c'est une surprise.
Cette fois, Amélie Nothomb s'empare du Riquet à la houppe de Charles Perrault. Son Déodat, dont la hideur est sans pareille, sera ornithologue, et sa Trémière, sublimement belle, qu'on dit sotte, sera l'égérie d'un joaillier. Amélie Nothomb narre l'enfance de ses héros qui en voient de toutes les couleurs. Puis, en leur donnant une orientation professionnelle, elle dévoile ce qu'ils aiment et qui va aimanter leurs vies : les oiseaux et les bijoux. Ils se rencontrent de façon imprévisible, s'aiment de suite au-delà de tout, mais restent différents, solitaires, à part. Ils s'aiment et sont heureux de s'aimer, une dimension qui manquent aux romans dans lesquels l'amour est toujours tragique. Nothomb, qui a lu les 147 romans de la Comédie humaine de Balzac n'a compté que 6% d'histoires d'amour qui se terminent bien. Un constat qui l'interroge : à quoi tient que l'amour de Déodat et Trémière perdure ?
Un roman agréable à lire, avec de fines considérations sur divers sujets.
Sans doute un des plus beaux romans d'Amélie Nothomb.

Piranha

Conseillé par (Libraire)
20 août 2016

En 2007, à Copenhague, des émeutes secouent la ville alors que les autorités ont décidé d'évacuer puis de détruire la Maison des jeunes, un repaire du mouvement autonome et de toutes sortes de gauchistes. Chaque nuit, de violents affrontements opposent des activistes à une police qu'ils haïssent.
À proximité, dans un cimetière contrôlé par la police, on découvre le cadavre d'un homme appuyé à un mur. Il porte le même genre de vêtements que les manifestants. Dès lors, le soupçon pèse sur la police qui aurait fait une bavure, à moins que ce soit un règlement de comptes suite à une histoire de drogue, ou autre chose...
Le policier qui mène l'enquête est Alex Steen, un homme à la vie compliquée. Il est divorcé et s'occupe de sa fille d'une façon très personnelle, ce qui déplaît à son ex. S'il est efficace, ses méthodes de travail sont parfois à la limite de la légalité. Lorsqu'il trouve un indice, Alex Steen est un peu comme un chien de chasse qui suit la trace sans s'occuper de ce qui l'entoure, ce qui peut agacer ses collèges et sa hiérarchie.

Jesper Stein tire parti de son expérience de journaliste pour émailler son roman de faits précis. Le cadavre a été trouvé dans le district de Nørrebro, un quartier à la forte diversité ethnique, maintenant animé et branché, qui a connu une histoire agitée jusqu'aux émeutes de 2007. Le roman se déroule aussi dans le quartier de Christiana, autoproclamé "Ville libre" dans les années 1970, par un groupe de libertaires et de hippies. Christiana a son propre drapeau, sa monnaie et on y vend du cannabis au su et au vu de tous.
Le roman ne manque ni de fausses pistes, ni de rebondissements et le suspense ne faiblit pas. L'auteur décrit avec précision la traque que mène Alex Steen, sans complaisance pour la police lorsque ses méthodes sont douteuses. Il montre bien la violence qui explose facilement dès que la police apparaît. Avec une précision quasi-documentaire, il nous fait parcourir la ville qu'il décrit avec précision.
Ce roman, le premier d'une série de cinq volumes, laisse augurer de suites passionnantes.

Conseillé par (Libraire)
16 août 2016

Dans le Montana des années 1980, Pete Snow, assistant social, vient en aide à des enfants bien amochés par la vie dans des familles de déséquilibrés. Lui-même aurait bien besoin d'aide, avec sa fille Rachel qui a fugué de chez sa mère et qu'il ne retrouve pas, ce qui le met dans des états très dépressifs. Séparé de sa femme infidèle qu'il aime encore, il mène une vie de vieux garçon, cherchant la sérénité dans l'alcool, se battant quand il a trop bu, vivant dans un mobil-home pas très rangé, s'efforçant d'oublier un père d'une trop grande rigueur et protégeant son frère recherché en vain par la police. Bref, il est le décalque des inspecteurs de police alcooliques et vaguement ripoux que l'on croise dans les polars...
Mais il est assistant social... Il s'occupe de gamins vraiment cabossés. Comme la petite Katie qui se cache dans des placards et que lui seul arrive à approcher. Ou Cecil, son frère, bon délinquant qu'il fera mettre dans une prison sévère lorsqu'il aura épuisé toutes les solutions d'accueil, ce qui le conduira à se calmer et à lui donner sa confiance. Ou encore Benjamin, le fils de Jeremiah Pearl, rencontré par hasard dans l'école dans laquelle il s'était introduit par curiosité. Ben est un enfant quasi-sauvage, maltraité par un père illuminé, mystique, fondamentaliste, en guerre contre tout et tous. La famille Pearl, ou du moins ce que Pete Snow en connaît, à quitté une maison pour des campements sans confort, installés sous une bâche, autour d'un feu de bûches, cachés dans la nature, loin du monde habité. Le père refuse toute aide, de même qu'il refuse de dire où se trouvent sa femme et ses autres enfants. D'ailleurs, existent-ils ? Sont-ils encore vivants ?
Ce qui surprend, c'est que cet homme, Pete, qui en bave dans sa vie personnelle, puisse trouver les moyens d'entrer en empathie avec ces gamins abîmés, de les tenir à bout de bras jusqu'à ce qu'ils trouvent l'endroit et les personnes avec qui se mettre à vivre humainement.
Le portait que Smith Henderson dresse de l'Amérique sous Reagan est glacial, triste, peu élogieux. C'est celui d'un Montana rempli de pauvres hères, d'alcooliques, de de types violents. Mais c'est aussi le portait d'un Montana des grands espaces, à la nature sauvage, encore presqu'inviolée.
Ce roman que l'on peut lire comme un roman policier, comme un roman social ou comme un roman de nature, voire comme un western moderne, est cruel et triste, souvent déprimant. Il a cependant un côté grandiose, démesuré de par la tâche de Pete Snow. Le style de l'auteur est magnifique, élégant, dense, poétique dans ses descriptions de la nature. Deux vies se déroulent en alternance : celle d'un enquêteur anonyme qui ne cesse de poser des questions à rachel, la file que recherche Pete Snow, celle de l'assistant social, ce qui donne une originalité recherchée à ce roman. Les personnages sont peu banals et émouvants; ils nous inquiètent. Les rebondissements ne manquent pas. La folie du monde est au rendez-vous.
Comme on se demande comment tout cela va finir, on ne lâche pas ce gros premier roman.

24,00
Conseillé par (Libraire)
24 juillet 2016

On pourrait dire qu'il ne se passe presque rien dans ce gros roman se déroulant à New York, dans l'après-11 novembre. Car l'histoire d'amour entre une chinoise d'origine ouïghoure et un vétéran de la guerre d'Irak peut être considérée comme attendue, normale et peut se raconter en peu de pages, même si elle est dramatique.
Mais Atticus Lish se donne la peine de compliquer cette histoire d'amour où Zou Lei est une clandestine sans papiers, employée au black dans une cuisine chinoise, payée peu et traitée comme une moins que rien, et où Brad Skinner est un soldat qui a enchaîné des missions en Irak, connu la violence brutale des combats, la barbarie de la guerre, sérieusement blessé et rendu à la vie civile avec ses effets et son arme, et surtout avec des traumatismes que ne calment pas les barbituriques et neuroleptiques que l'armée continue de lui livrer. L'amour qui attache ces deux êtres est bien réel, si fort qu'il pourrait dépasser et transcender leurs situations. Qu'il pourrait...
Autour de cette histoire, il y a ce qu'Atticus Lish nous décrit d'une Amérique des petites gens, des pauvres, des exploités, des travailleurs de l'ombre sous-payés, des clandestins, des immigrés. Tout un peuple qui traîne souvent dans les rues et donne au quartier de Queens, l'image d'une ville surpeuplée, grouillante, trop petite pour le nombre de ses habitants.
L'Amérique qu'il nous décrit méticuleusement, par le détail est tout sauf la grande et puissante Amérique. D'ailleurs, ce que ses deux héros croisent au fil de leurs déambulations n'est que l'Amérique des pauvres, l'Amérique des ignorés, celle des oubliés du capitalisme. Celle qui constitue le terreau qui fait vivre les couches supérieures de la société, invisibles dans ce roman.
Ce que vivent Zou Lei et Brad Skinner est beau et triste. Leur attachement est marqué par la grande violence qu'ils ont subi en quittant son pays pour elle, à la guerre et dans son logement en sous-sol pour lui. Sous cet angle, leur histoire dénonce le fonctionnement de nos sociétés cloisonnées, brutales, inhospitalières, et de l'Amérique en particulier. Ce roman écrit avec une précision d'entomologiste est un livre politique.
Tout ceci est servi par une écriture puissante, poétique et précise qui en fait un roman émouvant et attristant. Une grande lecture nécessaire pour revenir à la réalité, si tant est que l'Amérique nous a fait rêver d'un monde meilleur.
Excellent premier roman.

Conseillé par (Libraire)
17 juillet 2016

En fermant le livre, j'ai trouvé que la fin était un peu facile, où Raul Engales passe sa nuit à peindre des toiles avec Julian, le jeune fils de sa sœur Franca sans doute disparue à Buenos-Aires, dont il ignorait l'existence quelques jours plus tôt.
Et puis, il se trouve que les personnages, les descriptions, l'intrigue qui ont continué à habiter ma mémoire alors que, s'il elle n'avait pas été bonne, j'aurais oublié cette histoire…
C'est donc que l'impression immédiate n'était pas la bonne. Je dois d'ailleurs à la vérité de dire que je n'ai pas lâché le livre, que je l'ai lu en entier sans sauter la moindre phrase. Car Molly Prentiss a écrit un livre d'images, une histoire d'art et d'artistes qui se passe dans Manhattan Downtown, au sud, de la ville de New York. On imagine bien le quartier avec les ateliers, l'inévitable squatt (où l'on croise Keith Harring et Jean-Michel Basquiat, et où le peintre sera accidentellement amputé), les artistes inspirés, les personnages décalés ou déjantés. Mais quand elle décrit Raul Engales, le peintre argentin qui a fuit la dictature de Perón en abandonnant sa sœur, on voit ce qu'il peint, on voit la toile, on voit le jaune de Lucy son amoureuse et sa muse. On le voit, scrutant les personnes qui attirent son regard dans les nuits, avant de les peindre ensuite de mémoire. De même quand elle met en scène James Bennett, critique d'art au Times, qui "sanglote" en découvrant dans une vente l'immense toile irradiant le jaune d'une jeune femme croisée dans la rue, James qui "baigne" dans le rouge de Marge, la femme qu'il aime, qui exprime dans des couleurs ses sentiments et de ses émotions.
Entre Engales et Bennett, il y a Lucie, une jeune femme blonde, serveuse dans un bar trouble, originaire d'une banlieue d'Idaho. Engales la remarque, l'emmène chez lui et la peint. Bennett la croise plus tard et en tombe raide amoureux ainsi que de l'immense toile d'Engales. Lucy qui les rend dingues en même temps qu'elle essaie de prendre soin d'eux, de les extraire de ce qui les hante.
Dans la galerie des personnages, on n'oubliera pas Winona George, la galériste extravertie, faiseuse de réputation, celle pour qui l'art est aussi et surtout de l'argent.
Alors, au bout du compte, il fallait cette fin pour que le roman sur l'art et d'amour ne soit pas qu'un drame, cette fin où la peinture se féconde des cauchemars et du malheur, en triomphe, transfigurant la vie.
Un très beau roman, envoûtant, visuel -bien sûr- d'une rare originalité. Premier roman d'une auteure à ne pas oublier.