Yv

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Je lis, je lis, je lis, depuis longtemps. De tout, mais essentiellement des romans. Pas très original, mais peu de lectures "médiatiques". Mon vrai plaisir est de découvrir des auteurs et/ou des éditeurs peu connus et qui valent le coup.

Prix Renaudot des Lycéens - 2016

Alma Éditeur

18,00
Conseillé par
26 avril 2016

Lenka Horňáková-Civade est née en Moravie, elle s'est installée en France au début des années 1990 et écrit ce premier roman en français, sa langue d'adoption. C'est un hommage aux femmes de son pays de naissance, aux femmes en général, qui bien que rarement mises en avant sont celles qui font bouger les hommes, celles qui portent l'espoir. On a coutume de dire en parlant de ce genre de roman que ce sont de beaux portraits de femmes ; c'est parfois vrai, parfois un brin usurpé, mais là, franchement, quels beaux portraits de femmes ! Fortes, solides dans les épreuves et elles en traversent, à elles quatre à peu près tout ce que peuvent vivre les femmes en règle générale : amour, désir, sensualité, mais aussi les coups, la haine, la jalousie, le viol ; les hommes n'aiment pas les femmes libres en Tchécoslovaquie à l'époque (et sûrement ailleurs aussi). L'auteure décrit plutôt la campagne que la ville, là où elle se sont réfugiées pour espérer une vie plus calme, mais les temps violents du vingtième siècle viendront troubler leur désir de tranquillité.

Marie, la mère, puis grand-mère et arrière grand-mère est forte. C'est le pilier de la lignée, celle qui tente de ne jamais déroger à son principe de liberté, malgré les difficultés et les regards méprisants. Magdalena et Libuše profiteront, au moins au début de leur vie, des leçons de leur mère et grand-mère. Libres elles sont, libres elles tenteront de rester, ce qui ne sera pas facile. Eva bénéficiera d'une période plus clémente, 20 ans en 1989, à la chute du Mur.

Ce roman est aussi un très bon moyen de se remettre en mémoire toutes ces périodes du siècle passé, vues par ceux qui les ont subies. C'est toujours intéressant de savoir comment l'on pouvait vivre quotidiennement sous les différents régimes, nazis ou communistes, les compromissions des uns pour avoir une vie meilleure, du pouvoir, les refus des autres de mettre le doigt dans un engrenage d'un mécanisme qui les broierait sans état d'âme.

Un très bon premier roman, que je conseille aux femmes et aux hommes (même si nous n'avons pas le beau rôle). Écriture vive, vivante, qui détaille les rapports humains, qui parfois d'une simple phrase en dit beaucoup plus qu'un long discours : "Je hais ma mère profondément à ce moment-là, d'autant plus qu'elle m'est indispensable (...) Je hais ma mère autant que je l'aime." (p.116). Elle est rapide, va droit au but : "Secouée par une contraction interminable, je cherche des yeux le visage de ma mère. Je veux qu'elle voie dans les miens la peur, la douleur, l'angoisse. Je ne peux pas lui dire. J'ai peur qu'elle ne m'écoute pas. En la regardant, j'espère qu'elle m'entendra. Dans ses yeux à elle, quelle horreur ! Je vois la peur, la douleur, l'angoisse. Je ferme les yeux. Il n'y a pas d'espoir. Je ne verrai pas la réconciliation, l'amour, la douceur. Pa s de place pour cela." (p.63)

Vraiment, vraiment, je vous conseille de voyage dans le temps et en République Tchèque. Lenka Horňáková-Civade est également peintre, je verrai avec plaisir son travail.

Roman magnétique d'aventures maritimes

Intervalles

19,00
Conseillé par
26 avril 2016

Amateurs d'Aventures (avec un grand A), de délires, de fantastique, de personnages et de situations loufoques, burlesques, énormes, restez ici avec moi, que je vous narre succinctement cette histoire et que je vous appâte et vous fasse tomber définitivement dans les mailles du filet de Richard Gaitet. Après un premier roman sombre, introspectif, Les heures pâles, l'auteur m'avait bluffé avec un petit livre un peu barré avec deux fêtards en goguette à Mykonos, Découvrez Mykonos hors-saison, et le voici donc désormais en plein roman d'aventures, encore plus barré que Mykonos.

Petite explication utile : en 1897, Jules Verne écrit Le sphinx des glaces qui reprend une intrigue non résolue du seul roman d'Edgar Allan Poe, Aventures d'Arthur Gordon Pym, écrit 60 ans plus tôt. L'aimant poursuit cette histoire, il est bourré de références aux deux auteurs sus-nommés (ne serait-ce que la couverture, absolument magnifique, rouge basque et or, cartonnée ; les très belles illustrations de Riff Reb's donnent encore plus ce sentiment d'être dans ce genre de roman d'aventures "à l'ancienne" mais pas datées). Superbe présentation à mettre au crédit des éditions Intervalles, excellentes, comme d'habitude.

Comment dire tout mon enthousiasme sans être trop long ? Et bien, sans doute j'oublierai plein de choses que j'aimerais dire sur ce roman. J'ai pris un plaisir fou à le lire, même à me perdre parfois dans les délires de l'auteur pour mieux me retrouver ensuite dans son histoire. Car le mieux est de s'abandonner complètement au rythme, au monde créé par Richard Gaitet. On est en plein onirisme, fantastique, absurde : ah ce chapitre 22 de la première partie qui me rappelle ces histoires absurdes que j'aime tant et que l'on se racontait au fond des amphis de la fac... Ah ces envolées contre la société de consommation et notre rapport au dieu argent : "L'argent, c'est zéro, faut trouver autre chose pour mesurer les échanges entre les hommes -le troc, un truc, j'en sais rien, mais ça peut plus durer." (p.159/160). Ah cette écriture qui nous balade entre aventures style Poe/Verne et notre époque actuelle (j'ai pensé immanquablement à L'île du Point Némo de JM Blas de Roblès) : jeux sur les mots, sur les sons, la musicalité, les niveaux de langage, néologismes, ... La langue est vive, moderne, dynamique, pas de temps mort dans ces 330 pages d'aventures.

C'est un roman initiatique, empli d'épreuves, de rites de passages, ça commence gentiment par un quizz pour aborder d'autres thèmes plus lourds par la suite : la vie, l'amour, la mort, l'hérédité, la condition humaine, la société de consommation, l'anarchie, l'écologie, la politique, la cupidité, l'argent-roi qui mène le monde dans le mur, l'avidité, le besoin d'un retour aux valeurs humaines fondamentales, ... Les références y sont multiples, littéraires (j'en ai déjà parlé), livresques, cinématographiques, musicales ; Richard Gaitet est connaisseur, animateur de l'émission littéraire de l'excellente Radio Nova (la seule que j'écoute avec FIP), Nova book box. Malgré des thèmes parfois lourds, le ton est léger, enlevé, souvent drôle, comme par exemple ces quelques lignes-musicales (prises au hasard, parmi tant d'autres qui font sourire)

"Garçon agile, car il parvenait à mixer en tenant un sceptre au bout duquel figurait une croix d'ankh. Puis il coupa le son.

Et il remit le son.

Puis il coupa le son.

Et il remit le son. Puis il coupa le son." (p.236)

Pour résumer : amateurs d'Aventures (avec un grand A), de délires, de fantastique, de personnages et de situations loufoques, burlesques, énormes... Ah zut, j'ai déjà écrit ça. Bon tant pis, je garde une seconde couche n'est pas superflue pour rappeler d'aller se procurer et lire absolument L'aimant.

Roman noir

Cohen & Cohen éditeurs

20,00
Conseillé par
18 avril 2016

Comme vous l'avez sûrement compris et déjà lu sur le blog, la collection Art Noir de chez Cohen&Cohen mêle adroitement polar et art. Cette fois-ci, Michel Dresch situe son histoire en plein milieu du monde de l'art contemporain. On y parle installations, rentabilité, vente, cote, ... et si l'artiste aspire à d'autres moyens d'expressions on lui fait savoir que ce qui se vend c'est ce qu'il fait actuellement, le plus facile, le plus accessible qui est également le travail dans lequel il met le moins de lui-même. Ce n'est pas très reluisant, l'auteur explique comment faire monter une cote artificiellement -et non pas la côte que l'on monte réellement, pouf pouf, comment des galeristes se sont retrouvés ruinés lorsque leur stratagème n'a pas fonctionné et comment parfois, une bonne idée déclinée jusqu'à la caricature peut rapporter à l'artiste et au galeriste. Cela, je le savais un peu pour avoir visité une exposition d'un artiste local et assez reconnu qui peint toujours les mêmes thèmes, jolis certes, mais répétitifs, et chaque visiteur de s'exclamer sur la beauté, les couleurs, ... alors qu'au bout de cinq, six, sept... petits formats j'avais la sensation d'avoir fait le tour de son œuvre ; mais bon, il vend !

Tout n'est pas glauque dans le monde de l'art, Michel Dresch parle aussi de la création, de la volonté de créer, de changer, notamment lorsque Kovacs revient à la peinture, et même si le sujet est plus abordé que traité, j'avoue qu'il ne me déplairait pas d'accrocher chez moi l'une des toiles décrites.

Et l'intrigue dans tout cela, eh bien, elle suit son cours tranquillement, un peu comme les méthodes du commissaire Joubert. On peut deviner assez vite le nom du (ou de la ou des) coupable voire même ses motifs d'action -ce que j'ai fait- et lire cette histoire jusqu'au bout avec grand plaisir, notamment grâce au contexte décrit plus haut, mais aussi grâce aux personnages créés par l'auteur : Kovacs, Johana la maîtresse, Axel l'ex-mari, Marie-Paule la nouvelle maîtresse, Lassus le galeriste, les autres peintres, les flics, mais surtout les cinq premiers nommés et les relations entre eux. Rien n'est clair au départ entre eux tous, le mystère s'épaissira même en cours de route, l'argent, l'amour, la création la jalousie, tous ces paramètres exaltent les sentiments et les ressentiments voire les rancœurs. Un travail de Michel Dresch bien mené, dans une écriture agréable, fluide. Bref, un très bon moment de lecture. En plus, comme d'habitude le livre, une fois fermé est d'un noir absolu puisque les tranches des pages sont de cette couleur ce qui lui confère un attrait certain.

Si ce n'est pas encore fait, je vous invite à découvrir cette collection Art Noir chez Cohen&Cohen, de belles surprises vous y attendent (et même citée plusieurs fois avec lien vers son site, je n'ai aucune action dans cette maison... malheureusement).

Conseillé par
18 avril 2016

Clovis Narigou, le journaliste récurrent des polars de Maurice Gouiran a besoin d'argent pour retaper la bergerie dans laquelle il vit, la Varune. Il accepte donc une série de trois papiers pour un magazine qui paie bien, l'un sur Alexandre Grothendieck, ce mathématicien génial qui finit sa vie en ermite en Ariège, l'autre sur le camp d'internement de Rieucros pendant la guerre et le dernier sur un couple de Marseillais qui entame une procédure pour récupérer des tableaux retrouvés chez un vieil homme de Munich qui cachait plus de 1500 toiles héritées de son père et spoliées pendant les années où l'Allemagne était dirigée par les nazis. Dans le même temps, Éric, le fils de Clovis vient passer quelques jours à la bergerie avec sa compagne et des couples d'amis avec enfants ; la tranquillité du lieu en pâtit pendant cette semaine de vacances.

Comment relier ces trois histoires ? Eh bien, Maurice Gouiran y parvient sans problème, il faut dire qu'Alexandre Grothendieck a passé plusieurs mois avec sa mère au camp de Rieucros. Ce camp fut conçu en 1939 pour interner les opposants politiques non français, puis très tôt uniquement les enfants et les femmes : républicaines espagnoles, anti-fascistes allemandes, anarchistes, communistes, ... Pour l'autre histoire, souvenez-vous, en 2012, la police de Munich découvre chez Cornelius Gurlitt un vieil homme, 1500 toiles de maîtres signalées comme perdues, dont il a hérité de son père Hildebrand Gurlitt. Icelui fut marchant d'art et participa à la vente d'art dégénéré (selon Hitler) qui devait rapporter des fonds au pays pour construire le grand musée d'art conforme aux goût du Führer.

C'est donc, comme à son habitude, en mêlant réalité et fiction, en inscrivant ses intrigues dans l'Histoire, dans des moments ou des lieux parfois oubliés que Maurice Gouiran construit son scénario. Et c'est vachement bien, le plaisir est triple, d'abord celui d'une enquête journalistique avec du suspens, des rebondissements, des personnages réels ou fictifs retors, contradictoires ; ensuite, c'est très instructif, on apprend plein de choses sur Rieucros, la spoliation des tableaux appartenant à des juifs, les Monument's men, Grothendieck ; enfin, on retrouve avec plaisir Clovis Narigou (anagramme de Gouiran, heureusement qu'il le dit, parce que je ne l'avais pas remarqué, même si je me doutais qu'il y avait sans doute pas mal de Maurice et Clovis). Et la Varune, sa bergerie, je rêve d'y aller passer du temps, beaucoup de temps... promis, je ne fais pas de bruit et je respecte la nature. En fait, je l'envie je me suis surpris plusieurs fois pourtant assez éloignées d'une lecture de l'auteur à rêver de ce lieu ou d'un autre ressemblant : calme, beauté des lieux, tranquillité, ...

Je disais plus haut que Maurice Gouiran construisait son roman "comme d'habitude", mais ce n'est pas tout à fait vrai : là où dans ses autres aventures, son refuge c'est la Varune, ça ne l'est pas ici envahie qu'elle est par les vacanciers amis de son fils et là où usuellement, il va se frotter à des gens pas très sympathiques, ce coup-ci, l'enquête est assez moderne : téléphone, mails, ... tout se règle sans action extra-ordinaire. Il fait donc l'inverse de ce que j'ai pu lire auparavant, et ça marche aussi bien, parce qu'encore une fois le fond est là, costaud, historique, documenté et fort bien restitué.

Donc, comme d'habitude, une enquête vivement menée, un personnage attachant avec qui je partagerais bien volontiers une mauresque (il me ferait découvrir ce breuvage dont il peut abuser parfois) qui évolue dans un décor de rêve. Un vrai excellent roman noir.

Intervalles

17,00
Conseillé par
18 avril 2016

Sevgi Soysal (1936-1976) est une écrivaine turque qui a été surveillée par les autorités, certains de ses livres ont été interdits, parce qu'elle parle des relations hommes-femmes d'une manière féministe, qu'elle critique les institutions comme le mariage et le rôle subalterne de la femme ; elle a même fait des séjours en prison. Elle s'est mariée trois fois et est décédée en 1976 d'un cancer. Elle a écrit Tante Rosa en 1968. Toutes ces informations sont à retrouver dans la postface écrite par la traductrice Claire Simondin qui y livre également d'autres détails concernant l'auteure mais aussi son travail de traductrice.

Tante Rosa est un court roman construit comme une suite de petits chapitres, presque des nouvelles qui ont en commun l'héroïne et quelques personnages récurrents comme les maris et qui se suivent chronologiquement. Point de liaison entre ces chapitres, ce qui peut donner une impression de livre fourre-tout, de construction hâtive et bancale, mais en fait, c'est tout le contraire qui se passe, le charme de ce roman est augmenté par sa structure. Je ne sais pas trop comment l'expliquer, mais j'ai beaucoup aimé retrouver Rosa à différents moments de sa vie sans savoir ce qui s'était passé juste avant : c'est un puzzle dont le lecteur peut chercher s'il le veut, les pièces manquantes, les construire lui-même avec son imagination ou bien se laisser gagner par la sympathie que dégage Rosa sans en savoir plus sur elle, lui laisser une part de mystère...

Elle est attachante Rosa, iconoclaste, elle ne respecte aucune convention, c'est une femme libre jusqu'au bout. Rien ni personne ne l'attache et surtout pas les règles et les codes, une féministe-innée, c'est-à-dire qu'elle ne se pose même pas la question de savoir si ce qu'elle fait est bon pour la cause des femmes, elle le fait parce qu'elle ne peut pas faire autrement. Elle est libre d'aimer, de quitter mari et enfants, de vivre seule, d'aimer de nouveau. Mais elle paiera assez cher cette indépendance, vivra sans le sou toute sa vie. Une phrase du roman la résume assez bien (quoiqu'elle soit forcément réductrice) : "Chacun doit être capable de ne pas laisser échapper ce qui le différencie des autres." (p.74)

Un texte assez simple, virevoltant, dynamique, cru (à ce propos, lisez la postface très instructive sur le travail de traduction) même si la vie de Rosa est dure. La langue exsude l'énergie de Rosa, c'est ce que j'ai retenu d'elle. Même dans les moments difficiles, son énergie la pousse à agir et réagir, à ne pas se laisser abattre. Une femme solide tant par ses gènes que par choix ou nécessité.

Ce n'est a priori pas le plus subversif des livres de Sevgi Soysal, il n'a pas été censuré contrairement à d'autres, mais le publier maintenant est une bonne idée, je ne suis pas sûr que dans certains pays il ne serait pas interdit, cinquante ans après sa première parution. Il prône la liberté de la femme et sa totale indépendance vis-à-vis des hommes, thèmes encore tabous voire blasphématoires pour certains.