Un long mois de septembre
EAN13
2000037046574
Éditeur
Grasset
Date de publication
Dimensions
130 cm
Poids
432 g
Langue
français
Fiches UNIMARC
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Un long mois de septembre

Grasset

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LA COLONIE?>?>CHAPITRE PREMIER?>Elle est plus grande que moi, se dit le commandant. Delphine ne l'a pas vu, occupée à chercher son passeport; elle n'a pas regardé cette foule qui attend, elle a regardé le douanier qui hésite. De l'autre côté de la barrière, le commandant Avelo-Punta n'hésite pas : cette inconnue ne peut être que sa fille, pour la raison qu'elle ne ressemble à personne, seulement à lui.Le personnel d'Orly travaille en bras de chemise, à cause de cette chaleur de la mi-juin. Le commandant est entouré d'Arabes en veston, de fatmas teintes au henné. Trois familles nord-africaines, c'est-à-dire cent personnes, attendent comme lui la sortie des passagers en provenance de Tunis et pleurent pour se préparer à pleurer. Delphine ouvre l'une après l'autre ses valises, tandis que les contrebandiers passent sans formalité. Il fallait mentir, les douaniers sont au courant! Encore une demi-heure à attendre. Et dire que tout cela ne date que d'hier!Au milieu de l'après-midi, un coup de téléphone avec préavis. Quelqu'un avait dit, tranquille : « Vous parlez avec Tunis. »« Hubert? » Le ciel des Yvelines était ravissant, perruqué de nuages comme un juge anglais : « Hubert, m'entendez-vous? » Oui, le commandant avait entendu sans plaisir la voix de Louise, son ex-femme à quinze cents kilomètres de là. « Qui est mort? », avait-il demandé. Personne n'était mort, mais Louise disait lui avoir annoncé dans une lettre qu'il n'avait jamais reçue, l'arrivée demain à Paris de sa fille qu'il n'avait jamais vue.Delphine, un prénom en langes, septembre 38, Munich. Un mois et huit livres quand le commandant avait quitté Louise. Un poids lourd dans la décision de s'en aller. Je ne voulais pas d'enfant, surtout pas d'enfant par surprise. Pourquoi sa femme avait-elle rompu l'ordre des choses? Louise aurait quand même fini par rattraper le commandant à l'âge de la retraite, maintenant par exemple. Elle aurait commencé par choisir la forme de ses lunettes, puis celle de son âme; petit à petit, elle l'aurait attaché par une faveur rose à son fauteuil de vieille dame. La Marine dans laquelle il avait servi pendant vingt ans le guettait aussi avec le ruban rouge. Roses ou rouges, le commandant a toujours eu les nœuds en horreur.« Voyez-vous un inconvénient à sa venue? » avait dit Louise. Autant qu'au premier jour, tous. Je me lève de bonne heure, j'ai de vieux domestiques et un vieux caractère. « Delphine a pris son billet d'avion... » Trente années, c'est trop de distance. Naguère, peut-être, il avait penséà cette petite fille qui grandissait au loin. Après son divorce, il avait écrit pour demander des nouvelles; on lui avait répondu : « Elle est bonne en orthographe. » Il s'en moquait qu'elle écrivît Delphine avec deux n, si telle était son idée; il aurait voulu savoir combien de mûres elle engloutissait à la seconde, si elle essoufflait les garçons. Maintenant, elle doit être grand-mère. Le commandant s'était rappelé avoir reçu un faire-part, il y a quelques années, sur lequel il avait lu avec satisfaction qu'on ne l'avait pas consulté pour annoncer le mariage de sa fille avec un monsieur à nom de farine. Farineau? Farinotto? « Demain, Tunis-Air, vol 457. » Demain, le commandant sera à Nice, comme tous les mois...Tandis que Delphine barbote toujours dans les déclarations douanières, l'avion de Londres déverse au milieu des Arabes des petites filles anglaises, bourrées de drogue, que personne ne fouille. Autour du commandant, le rite des retrouvailles méditerranéennes a commencé : mastication monstrueuse, repas de peaux, grouillement de lèvres qui s'agglutinent aux lèvres, aux yeux. On broie du venant à larmes lentes, sans mot, chacun pour son compte; les hommes aussi s'embrassent.Tout à coup le commandant sursaute : Delphine n'est plus de l'autre côté de la barrière, ce qui est inexplicable, comme tout à l'heure il était inexplicable qu'elle y fût. C'est l'avion de New York qu'on annonce, le globe des rendez-vous sous lequel on ne se retrouve jamais, la cartouche de cigarettes qu'il avait achetée pour avoir quelque chose à lui fourrer dans les bras à l'arrivée, qu'il jette, le guichet du change où elle n'est pas. Un autocar d'Air France démarre. Le commandant secoue la portière. Il ne veut pas de billet, il cherche une passagère, une grande jeune femme brune, comme lui; le chauffeur de l'autobus rigole : le commandant a les cheveux blancs. Pourquoi Delphine n'a-t-elle pas reconnu son père? Aucun taxi ne sait trouver La Colonie, puisqu'il n'y a pas de nom sur le portail. Il redescend. Deux genoux, deux merveilleux genoux l'attendent sur une valise.
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