EAN13
9782371451230
ISBN
978-2-37145-123-0
Éditeur
Petit véhicule
Date de publication
Collection
L'OR DU TEMPS
Nombre de pages
134
Dimensions
21,4 x 21,9 x 0,7 cm
Poids
150 g
Langue
français
Fiches UNIMARC
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Bon papa, mon papa

Petit véhicule

L'Or Du Temps

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J’ai connu Bon Papa effacé, taciturne, placide, morose ; on m’a révélé que jeune, il était jovial, entreprenant, un gaillard : c’est qu’entre temps la vie l’avait matraqué. Grand-mère Desreumaux passait aux yeux de tous pour un chameau, en tout cas pour une dame patronnesse guindée, jusqu’à fabriquer des coincés ou des révoltés ; mais moi, j’étais son petit chéri. Enfant, je n’aimais pas beaucoup mon père, en tout cas je lui préférais ma mère ; puis, peu à peu j’ai apprécié de plus en plus mon papa. Trois personnes, trois personnages à doubles visages et qui permettent de raconter d’une certaine manière l’histoire du XXe siècle. Finalement, je devais être un bon petit garçon. Quand on me demandait d’aller à la cave chercher dans le garde-manger le melon pour bon papa, quoique rien que l’odeur de ce cucurbitacée me soulevât le coeur, j’y allais. Quand on me demanda de monter dans la chambre de bon papa prendre le bac à charbon, qui contenait des boulettes d’anthracite, j’y allai aussi. L’escalier en orme blond craquait. A la quatrième marche, mon coeur battait. Je m’arrêtai. J’avais une terrible envie de redescendre. J’eus un sursaut d’héroïsme et je me hissai jusqu’au premier palier. Là, je m’arrêtai encore ; tout mon corps était vidé de son énergie, j’étais mou, tremblant, flageolant, dans un état proche de la syncope. Si j’avais bien pris garde d’éclairer l’escalier, dehors c’était la nuit, une nuit d’automne humide, un temps qui se dérangeait, avec des branches grelottantes. Je franchis les cinq dernières marches, j’étais devant la terrible porte. Nouvel arrêt, nouveau coeur battant. Je tournai la clenche, j’entrebâillai la porte, à peine, le moins possible ; j’introduisis une main et je cherchai à tâtons le commutateur électrique. La lumière jaillit. Je poussai la porte, dardai un regard. Bon papa était sagement couché, mais je lui trouvai quelque chose de sournois. Je bondis dans la pièce, me ruai sur le bac à charbon, les pincettes, que j’avais aussi l’ordre de prendre, tout en jetant des regards de côté pour vérifier si bon papa n’était pas en train de me sauter dessus avec ses griffes et la méchanceté bien connue des morts. Bon papa était très beau dans la mort. Il ressemblait comme deux gouttes d’eau à Bernanos. Il avait la même coupe générale du visage, la même plantation de cheveux, les mêmes joues à la fois plates et molles, la même moustache couvrant tout l’espace entre la lèvre et le nez. Il était cireux, sévère, d’une extrême dignité, d’une majesté à peine amère ; il évoquait la droiture, la rectitude, le goût de l’honneur. Il n’avait rien de crispé, de rabougri, de torturé, comme je l’ai vu à d’autres, à grand’mère, à maman ; il avait la magnificence d’un gisant, la gravité d’un prophète. (extrait de Premier portrait de bon papa) Bon papa
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