Théoda
EAN13
9782889070824
Éditeur
Zoé
Date de publication
Collection
ZOE POCHE
Langue
français
Langue d'origine
français
Fiches UNIMARC
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Théoda

Zoé

Zoe Poche

Livre numérique

  • Aide EAN13 : 9782889070824
    • Fichier EPUB, avec Marquage en filigrane
    9.49

  • Aide EAN13 : 9782889070831
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    9.49

Autre version disponible

Théoda raconte la passion d'un homme pour une femme venue d'ailleurs, et trop
différente pour être tolérée par les villageois – une passion à l’issue
dramatique puisqu’elle conduira les amants au meurtre. Le roman se déroule en
Valais, au cœur des Alpes. Au fil des saisons, les paysans vivent tantôt en
plaine, tantôt sur la montagne, cultivent des champs petits et pentus, c'est
une vie de labeur : « Nous n’avions pas qu’un village. Nous en avions deux.
L’un près du fleuve, dans les vignes et les vergers : Pragnin. L’autre à deux
heures de marche au-dessus : Terroua. Et nous allions de l’un à l’autre selon
les saisons ; déménageant, emménageant sept fois durant l’année. Deux noms à
leur ressemblance. Pragnin qui est de guingois, pas du tout stable et qui
s’étage. Terroua qui pèse lourd, qui tient ferme au sol et qui refuse de se
confondre avec le ciel. » La narratrice, c’est Marceline, une enfant de sept
ans qui jette sur le monde qui l'entoure un regard empli d'émerveillement –
sur la rudesse du quotidien, les jeux, le rythme de la terre et des saisons,
l'éclat des fêtes religieuses. Au centre de la vie de Marceline, il y a la
famille, nombreuse, omniprésente : les parents (« Mon père avait les yeux
bleus ; il parlait rarement. Ma mère avait des yeux noirs et chacun lui
obéissait. »), et puis, les nombreux frères et sœurs – onze en tout –, dont
Barnabé est l’aîné. Barnabé qui, au début du roman, a épousé Théoda : « Cette
fois, il ne s’agissait pas de mariage forcé ni de dépit d’amour. Théoda, qui
venait d’un autre village, un village au fond d’une vallée dont nous ne
pouvions voir que la porte, avait épousé mon frère de son plein gré. » Mais
cet apparent mariage « de plein gré » recèle un secret, que Marceline découvre
au détour d’une promenade en forêt : « Des gémissements se firent entendre ; à
la fois proches et lointains. Je n’étais donc pas seule ? Ils cessèrent. «
Est-ce une bête ? Est-ce le vent ? » me demandai-je, inquiète. « Ou me suis-je
trompée ?… » Cela recommença. Dès le premier instant, j’avais songé aux âmes.
Alors, d’une voix qui n’était plus la mienne, je posai la question rituelle
que ma mère m’avait recommandé de dire en pareil cas : — De la part de Dieu,
qui êtes-vous ? Rien ne répondit. J’attendais. Les gémissements reprirent,
plus faibles. Je m’avançai de quelques pas ; il me semblait en marchant faire
bouger toute la forêt. J’étais maintenant de l’autre côté de la clairière. En
dessous de moi, au creux d’une combe, je vis un homme et une femme mêlés l’un
à l’autre. Ce n’était plus un homme et une femme, mais un nouvel être : Rémi
et Théoda. » Dans son innocence d’enfant, Marceline pressent la gravité de ce
secret qui devient pour elle un poids, quand bien même cet amour ne se
manifeste d'une manière extérieure qu'à de rares occasions : « La passion de
Rémi et Théoda, de même, était muette, sous-jacente. On la sentait à peine
vibrer sous leur indifférence extérieure ; brusquement, elle éclatait aux yeux
de tous. Quand ils se rencontraient dans la rue, ils se portaient l’un au-
devant de l’autre, comme s’ils devaient se transmettre un message très grave
et jamais dit, puis ils passaient sans échanger un regard. Quand ils étaient
assis dans une salle, en notre compagnie, ils semblaient ne pas se voir, ne
pas s’entendre ; soudain l’un des deux se levait pour aller vers l’autre,
oubliant notre présence, et ce n’était qu’au dernier moment qu’ils se la
rappelaient. » Ainsi, Marceline est la seule à connaître l’origine du bonheur
rayonnant de Théoda, source de jalousie voire de haine pour les autres
villageois : « Maintenant que la beauté de Théoda avait frappé tout le monde,
on se mit à la regarder et l’on vit sur elle ce qu’on n’avait pas découvert
jusqu’alors. On vit que son teint, qu’elle protégeait du soleil, était uni et
fin, avec du rose sur les pommettes saillantes. Que ses yeux étaient d’un gris
bleuté, avec une pupille minuscule qui se dilatait le soir et faisait croire à
des yeux sombres. Si elle était en colère, si elle avait envie de quelque
chose, l’iris se gonflait et se couvrait de lueurs jaunes. Des yeux qui vous
regardaient en face, sans peur, sans émoi. Mais nous voyaient-ils ? Ils
allaient bien au-delà de nous-mêmes, ils nous traversaient ; nous n’étions pas
leur but. Elle marchait dans la rue, légèrement cambrée, les bras immobiles le
long de son corps, mais les mains se relevaient, tâtaient l’air comme deux
gouvernails. « On croirait toujours qu’elle va vers une fête », disait
Herbert, revenu au village. Elle portait la blouse de grosse toile blanche
sous son caraco qu’elle ouvrait pour mieux respirer. Une mèche noire tombait
sur sa joue, elle la laissait… Elle ne voyait rien. Elle écoutait chanter son
corps. De ses deux mains, elle saisissait l’air, l’attirait à elle, s’en
entourait. Elle savait qu’il était chargé du désir de Rémi. A la lumière de
cet homme, son corps fleurissait. Elle devenait plus que belle : vivante. Et
cette vie l’exhaussait, la projetait hors d’elle-même. Chacun devait le sentir
; partout où elle allait, les gens s’écartaient pour lui laisser place, comme
si ce fût une femme immense qui s’avançait. Elle ne leur donnait pas un
regard. On la haïssait parce que ce bonheur provoquait chacun, le heurtait
dans ce qu’il avait de plus secret, de plus cher : sa tranquillité. » Théoda
est cause de tourments pour Marceline, mais aussi de fascination : « Théoda
existait, séparée de tout, de la terre, des hommes, du ciel et de l’enfer.
Elle ne se confondait qu’avec Rémi, elle n’acceptait d’être que lui ou elle,
personne d’autre. […] Et moi-même, ne m’illusionnais-je pas en étant persuadée
qu’elle me préférait entre tous les enfants du village ? » Corinna Bille
(1912-1979), romancière inventive, aimait raconter des histoires, c’est-à-dire
vivre plusieurs vies simultanément, démultiplier les possibilités, écouter
toutes les voix qui l’habitaient, être plurielle, quand bien même elle restait
elle-même, plume ou crayon en main, papiers proches et temps compté. Tout lui
était bon. Elle a en effet pratiqué le roman, la nouvelle, la poésie, le
théâtre, le conte, l’histoire et exploré nombre de formes : brèves ou longues,
réalistes ou imaginaires, personnelles ou impersonnelles, fantaisistes,
obliques ou graves. Grande lectrice, aussi bien de poèmes que de traités, de
contes que d’essais, notamment anthropologiques, elle a emprunté et fait son
miel des univers racontés, décrits et pensés, de façon à appuyer son monde à
elle, intimement connu, sur un socle mythique, archaïque, commun à l’humanité,
quel que soit son lieu et son temps. Fille d'Edmond Bille et de Catherine
Tapparel, elle épouse en 1934 un acteur de la troupe de Dullin, Vital Geymond,
vit à Paris (1934-1936) et voyage en Espagne et en Italie. De retour en
Valais, elle rencontre Maurice Chappaz en 1942 et de 1943 à 1947, année du
mariage, le couple s'installe dans le Haut-Valais près de Rarogne. De son
second mariage, elle a eu trois enfants. Corinna Bille passe la majeure partie
de son enfance en Valais, région qui va fortement influencer son œuvre. Après
un séjour à Paris, elle publie son premier recueil de poèmes (Printemps, 1939)
et son premier roman (Théoda, 1944), suivi du Sabot de Vénus (1952) et de
plusieurs recueils de nouvelles. C'est avec La demoiselle sauvage (1974,
bourse Goncourt de la nouvelle 1975) que son talent est reconnu à l'étranger.
Une biographie lui a été consacrée par Gilberte Favre en 1981, rééditée en
1999 aux éditions Z et en 2012 aux éditions de L'Aire (collection L'Aire
bleue). À la question « Pourquoi écrivez-vous ? » Corinna Bille répond : « On
ne peut pas supporter le bonheur, on ne peut pas supporter la souffrance.
L'écriture c'est un remède à l'insupportable. Mon travail seul me donne
l'équilibre, la cohérence nécessaire, que ni le social, ni le religieux, ni
l'aventure, ni même la maternité ne peuvent m'assurer. » Le préfacier :
Pierre-François Mettan a enseigné le français et l’anglais au Collège de
Saint-Maurice, tout en menant des recherches consacrées à divers écrivains
romands, S. Corinna Bille, Blaise Cendrars ou Ella Maillart.
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