Sulak

Philippe Jaenada

Points

  • Conseillé par
    14 octobre 2015

    Le braqueur magnifique

    Qui se souvient de Bruno Sulak ? Ce beau garçon d’une intelligence peu commune a été au début des années 80 l’homme le plus recherché de France. Tout juste jeune adulte, il a écumé supermarchés puis bijouteries jusqu’aux grandes enseignes de la rue de la Paix, organisant de spectaculaires braquages selon un mode opératoire minutieux, efficace et sans bavures -Bruno Sulak n’a jamais eu de sang sur les mains. Il est mort à 29 ans lors d’une tentative d’évasion, en tombant d’une fenêtre de Fleury-Mérogis.

    Braqueur légendaire, roi de l’évasion, les formules ne manquent pas mais semblent insuffisantes pour définir une personnalité aussi complexe. Le romancier Philippe Jaenada a pourtant décidé de retracer la courte vie de Bruno Sulak et la biographie qu’il signe se dévore comme un roman d’aventures. Patiemment, interrogeant les témoins, les amis, la famille, épluchant les journaux de l’époque, Jaenada, fasciné, a cherché des indices dans les origines familiales, un grand-père venu d’un petit village polonais et un père légionnaire, puis dans l’enfance et l’adolescence à Marseille, il a reconstruit la cavale et l’ultime arrestation du hors-la-loi, il a également dressé le portrait de ses proches : Thalie, l’amour de sa vie, Drago, l’ami de toujours. Mais au fil de ce canevas minutieux où le romancier s’est fait archiviste, reste toujours une question : à quoi tient la vie d’un homme ?

    On est vite emporté par ce récit toujours rigoureusement proche des faits et construit comme un puzzle. Il y a l’enfance, dans une famille modeste mais unie et stable. Le refus, très jeune, de l’autorité. La petite délinquance puis l’entrée dans la légion dont il déserte et le premier braquage. Philippe Jaenada reconstitue pièce à pièce la ligne de cette vie qui sans cesse  bifurque, se brise et repart. Il colle à son personnage, nous fait partager les moments d’angoisse et de tension, la panique de celui qui se sait recherché, mais aussi les jours d’euphorie, lorsque le braqueur réussit un beau coup et possède assez d’argent pour vivre tranquillement quelques temps. Le romancier s’interdit toute envolée lyrique mais aussi toute hypothèse personnelle, se refusant à laisser libre cours à son imagination. Hasards, mauvais sort et mauvais coups, tout est étudié comme un enchaînement implacable et de fait fatal, jusqu’à la dernière nuit où Jaenada met en concurrence, sans trancher, deux versions des faits : la version officielle, qui veut que Bruno Sulak soit tombé d’une fenêtre en tentant de s’évader, et celle de proches qui pensent qu’on l’a poussé.

    Pari réussi donc pour un romancier qui jusqu’alors avait publié des textes au ton loufoque et tendre d’inspiration largement autobiographique. On retrouve pourtant dans ce livre le style très particulier de Philippe Jaenada, notamment son sens de l’humour et de la digression. De petits instantanés de la France des années soixante-dix et quatre-vingt – la dernière radio de la chanteuse du groupe « Il était une fois » -  émaillent son récit, tout comme des détails de sa vie à lui, soudain signalés en passant, lorsque sa propre trajectoire croise par hasard celle de Bruno Sulak, les coïncidences s’accumulent et l’auteur semble parfois pris de vertige. Car tout se tient et pourtant rien ne tient en ce monde, Sulak et Jaenada auraient pu se croiser, échanger leurs vies, mais la vie justement n’est pas la littérature : Sulak reste pour toujours un emblématique mystère et Jaenada un vrai romancier.

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