L'homme qui savait la langue des serpents

Andrus Kivirähk

Le Tripode

  • Conseillé par (Libraire)
    5 décembre 2014

    Le coup de coeur de Cléo

    Il était un temps où les hommes et les bêtes vivaient en harmonie, parlaient la même langue: la langue des serpents.
    C'était un temps où l'homme n'avait pas besoin de travailler car la Nature pourvoyait à tous ses besoins.
    Puis, par les mers, les hommes de fer sont arrivés et ont amenés la Technique et de nouvelles croyances. L'harmonie fût brisée... la forêt se vida, les coutumes perdirent leurs racines profondes pour ne devenir que des pratiques denuées de sens.
    Voici l'histoire du dernier homme qui parlait la langue des serpents.

    Une fable magnifique basée sur la mythologie estonienne: poétique et fascinante, drôle et triste à la fois.
    MAGIQUE!


  • Conseillé par
    5 novembre 2014

    Une petite pépite !

    Grand prix de l’imaginaire 2014 dans la catégorie Roman étranger, « L’homme qui savait la langue des serpents » est une petite pépite qui mérite largement cette récompense et plus encore. Difficile à catégoriser, le roman joue sur différents registres et possède plusieurs couches, comme les oignons. En surface, il s’agit d’une fable tragi-comique, avec de nombreux éléments absurdes et fantastiques qui s’amalgament dans un joyeux délire. Des ours qui séduisent des femmes, un vieux cul-de-jatte qui se fabrique des ailes avec les os de ses victimes, un pou domestiqué de la taille d’un cheval, et j’en passe et des meilleurs. A croire que l’auteur a abusé de substances illicites. Pourtant, tout ça colle merveilleusement et l’univers est construit de telle manière que l’on s’y fait très facilement, comme si tout cela allait de soi.

    Si l’on creuse un peu plus profondément (et que l’on lit la précieuse postface de Jean-Pierre Minaudier, le traducteur), on comprend qu’Andrus Kivirähk n’est pas seulement un maitre de l’absurde qui s’est fait plaisir avec son univers complétement déjanté, c’est aussi un redoutable satiriste, qui n’hésite pas à dénoncer bon nombre de choses en les tournant en dérision. La religion catholique et les vieilles croyances en prennent ainsi pour leurs grades, l’auteur s’amusant beaucoup de la crédulité desdits croyants. L’ignorance, le progrès à tout prix et l’attachement aux anciennes coutumes, Andrus Kivirähk les dépeint avec un humour corrosif, qui nous fait passer du rire aux larmes en l’espace de quelques paragraphes. A défaut de connaitre la langue des serpents, l’auteur a au moins la langue bien pendue !

    Le récit qui nous emmène aux côtés de Leemet, au plus profond des forêts estoniennes, nous explique comment le monde moderne a sonné le glas des anciens peuples et comment les forêts se sont peu à peu dépeuplées. La fameuse langue de serpents, qui permettait à nos ancêtres de comprendre les animaux et de communiquer avec eux, tombe peu à peu dans l’oubli, au fur et à mesure que les gens quittent la forêt pour s’installer au village. Ce qui semblait couler de source devient féérique, délirant voire démoniaque pour les « citadins ». La confrontation entre ancien monde/modernité entraine plusieurs scènes délirantes où l’on s’émerveille d’un râteau ou que l’on se vante de pouvoir reconnaitre la race d’un cheval à la consistance et au goût de sa crotte…

    Si les passages cocasses sont nombreux et que la lecture amène parfois les larmes aux yeux face à une scène particulièrement croustillante, le ton du roman se révèle également cruel, décapant voire défaitiste. La mort rôde, la mort guette, de même que la vengeance, la jalousie et la bêtise crasse. L’auteur n’y va pas par quatre chemins et n’épargne rien à ce malheureux Leemet, qui devra faire face à de multiples situations traumatisantes. La narration atteste d’un certain brio, l’auteur alternant entre les phases comiques et tragiques en prenant garde à délayer son intrigue. Le roman jouit d’une grande cohésion, l’univers moyenâgeux représenté par l’auteur se déployant en une myriade de détails révélateurs. Rien n’est laissé au hasard dans cette Estonie imaginée, à la symbolique débordante.

    Les personnages, comment dire, ne sont pas piqués des vers, c’est le moins que l’on puisse dire. Leemet, le héros de l’histoire, est probablement le personnage le plus « normal » du lot. Andrus Kivirähk nous offre toute une galerie de personnages entiers, vaniteux ou vindicatifs, qu’il a pris grand plaisir à créer, et ça se voit. Au choix, il y a la mère nourricière qui ne jure que par le ragoût d’élan (au kilo si possible), le vieux « sage » à demi fou qui sacrifie à tour bras, le beau-frère ours qui lorgne les filles maladivement, les deux australopithèques et leur élevage de poux domestiqués, la paysanne qui s’imagine porter Jésus en elle… Bref, du lourd ! Ajoutez à cela une superbe plume (et traduction) qui sait jouer avec les mots, y cacher une allusion, un double sens pour mieux nous surprendre et nous faire mourir (de rire) ou nous ébahir. Une lecture inspirée et impertinente, que je ne peux que vous conseiller pauvres fous que vous êtes !